Blabla sur le développement durable : la bureaucratie aux commandes

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Définition du développement durable donnée en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU appelée “Commission Brundtland” : “un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.” Citation de Mme Gro Harlem Brundtland, alors Premier Ministre norvégien.

Le terme “développement durable” recèle une ambigüité qui en fait un concept fort malléable. En effet, les deux mots ne s’accordent pas facilement dans un modèle économique où le profit tend à écraser le vivant dans une politique de la terre brûlée : licenciements de masse, dégradation des écosystèmes, pour ne citer que deux exemples.

Aussi, le concept de développement durable vise non pas à remettre en question une course à la croissance mais à la tempérer en prenant garde de  préserver équilibre social et environnemental. A partir de là, on se doute que le curseur peut bouger d’un bord à l’autre. Dès lors, le développement durable  devient objet de toutes les récupérations. Si l’on reprend Orwell, on pourrait parler d’un mot vidé de son sens, capable d’exprimer son contraire. Le développement durable devient alors non plus un code de conduite mais un marqueur de qualité, utilisé comme argument marketing :

Aujourd’hui, tout le monde déclare, à coups de campagnes de communication, vouloir s’engager dans le développement durable : les politiques s’emparent du concept, de même que les conseils régionaux et départementaux, les comités touristiques, les fédérations, les entreprises et jusqu’à Monsanto qui prétend faire du développement durable.

Ici, je m’intéresserai aux relations qu’entretiennent les instances touristiques régionales et départementales avec les acteurs de cette économie sur le terrain, et plus particulièrement les professionnels du surf.

Un système pyramidal sourd et aveugle

Nous vivons à l’ère du libéralisme économique le plus sauvage et pourtant, paradoxe étrange, d’acteurs libres et entreprenants, source d’expertise et de proposition, nous sommes devenus des administrés muets, enchaînés aux directives d’en haut.

La réunion de la “Filière Surf”, organisée par le Comité Régional du Tourisme le 04/02/2020 pose des objectifs et stratégies concernant le développement du tourisme “surf” en Aquitaine. Les membres du Syndicat des Professionnels du Surf, avec leur énergie toute neuve, étaient présents lors de cette réunion pour nous livrer leur sentiment. Le compte rendu officiel de la réunion, rédigé par le CRT, permet également de connaître les préconisations du comité.

A cette réunion étaient, comme toujours, sous-représentés les professionnels du surf ; seule la voix de Michel Queyraud, président du Syndicat des Professionnels du Surf (SPS), a pu faire valoir notre point de vue, en parfaite dissonance avec les stratégies fort peu durables du CRT. Sa voix a, je pense, été perçue comme un gravier dans les rouages de l’administration. Pourtant, ses remarques soulèvent effectivement quelques incohérences. Eco-Safe Surfing (association qui regroupe les gérants d’école de surf privées) exprime également un certain nombre de réserves.

Une base cantonnée au rôle d’administrés

Une stratégie sourde aux besoins des acteurs sur le terrain : en effet, qu’y a-t-il de durable à vouloir faire venir les Chinois, champions du tourisme de masse, sans engager dans le même temps une réflexion sur la gestion responsable de cette fréquentation et de son impact ? Le CRT veut prospecter des clients aux quatre coins du Globe et nous parle d’adapter notre qualité d’accueil à ces clientèles diverses. Mais dans une vision durable du tourisme, ne faut-il pas également adapter les flux touristiques aux territoires pour préserver la nature, l’identité culturelle, de même que les acteurs de cette économie locale ?

Rappelons-nous que jadis, les offices de tourisme, nourris de subventions publiques et donc de nos deniers, entretenaient avec les entrepreneurs locaux une relation de partenariat, de l’ordre de l’échange de bons procédés : en échange de subventions, chaque OT œuvrait à l’accueil des touristes en leur communiquant les offres des prestataires locaux. Avec la mise en place de nouveaux outils de communication, notamment sur le web, les services des OT sont progressivement devenus payants pour les acteurs locaux, faisant glisser les prestataires du statut de partenaires vers celui d’adhérents. On pourrait même dire, de clients, avec tous les risques que cela comporte. En effet, un client peut partir, décider de communiquer via des prestataires privés.

L’arme du CRT pour démontrer la capacité des territoires à fournir un accueil de qualité, dans l’enseignement du surf mais également dans l’hébergement, c’est la multiplication des labels, présentés comme des marqueurs de qualité.

Avec cette stratégie des labels, le partenaire glisse vers le statut de client. Le CRT ressemble de plus en plus à une entreprise à but lucratif, qui ferait le distinguo entre ses bons clients et des clients de seconde main. Labels utilisés comme outils de coercition, puisqu’ils permettent d’enchainer le client à un cycle de devoirs et d’obligations envers l’entité qui a émis le cadre réglementaire de ces labels. Le développement durable de la ressource humaine, la cohésion sociale, difficile à distinguer dans cette approche quelque peu rigoriste.

Cela est d’autant plus flagrant avec le dernier né des labels de qualité du Comité Départemental du Tourisme, la marque Surf House.

Deux petits surfcamps landais s’étaient tournés vers leur OT de proximité, pour deux raisons : la première, l’ouverture d’un complexe géant piloté par un grand groupe hôtelier, et qui en cassant les prix risquait de les avaler tous crus. Deuxième raison, les sufcamps français payaient des taxes de séjour prohibitives parce que les instances touristiques ne parvenaient pas à les faire entrer dans une catégorie d’hébergement.

Leur singularité, qui était aussi leur principal atout commercial, n’allait pas résister longtemps à la nécessité pour l’administration de tout réglementer, classifier, peut-être pour des raisons fiscales.

Comme solution, on leur proposa de s’associer au Conseil Départemental du Tourisme pour piloter la création du référentiel d’un label surfcamp, qui bien vite échappa à leur contrôle puisque l’un de ces deux surfcamps se vit refuser le label, à cause d’un détail minime (2 mètres carrés).

La bureaucratie s’était emparée du référentiel, avec des cases à remplir, parfois absurdes et contradictoires : ainsi, un surfcamp, à qui le référentiel demande un engagement éco-responsable, ne peut prétendre au label s’il ne possède pas de micro-ondes (les produits surgelés emballés dans du plastique sont pourtant ce que l’on peut faire de pire en terme de développement durable).

Les critiques de la base se perdent dans les arcannes de l’administration. Les gérants de ces surfcamps sont auditionnés par des “terrestres”, pour ne pas dire le mot bureaucrate, qui viennent leur dire ce que c’est que d’être un surfeur, de véhiculer une image surf, avec tous les clichés et les raccourcis que cela peut occasionner.

En imposant cette politique des mille labels, ces comités du tourisme créent une stratégie dans laquelle la bureaucratie transforme les acteurs sur le terrain, non plus en professionnels responsables, mais en un troupeau servile, uniformisé, docile et consentant. En effet, celui qui ne réunit pas les conditions d’accès à ces labels se voit maintenu dans une sorte de purgatoire tandis que les élus au label sont mis en avant dans les supports de communication des CRT et CDT. Il faut se soumettre à la norme imposée par l’administration touristique, du haut de son olympe, sous peine d’être exclu.

Un tourisme “hors sol”

Rappelons que le tourisme n’est pas produit par les comités et offices de tourisme mais par les hommes et les femmes qui, sur le terrain, ont fait le pari de vivre, sur des périodes souvent très courtes, de l’accueil des vacanciers. Et qui par la force de leur travail contribuent au dynamisme et à l’attractivité de leur région.

Le CRT prétend améliorer la qualité de l’accueil à coups de labels, mais à aucun moment ne s’interroge sur un aspect pourtant primordial au maintien de cette qualité : les conditions dans lesquelles les professionnels du surf exercent leur activité sont-elles réunies pour garantir la bonne santé de ces entrepreneurs et salariés sur le terrain ? Les études commandées par la région au fil des décennies, jamais suivies d’actions sur le terrain, prouvent bien que les stratégies se perpétuent, inchangées, sans prendre en compte cette dimension humaine et sociale.

Dans les stations balnéaires côtières, les travailleurs saisonniers, souvent très jeunes, vivent un chemin de croix pour réussir à se loger. Une vision moyenâgeuse et condescendante continue d’entourer le travailleur saisonnier alors même que le CRT fanfaronne ses 30 millions de visiteurs étrangers par an.

Seules quelques municipalités proposent à ces saisonniers des solutions de logement tandis qu’ils continuent d’être traités, souvent, comme une manne corvéable à merci. “Ca va, vous êtes jeunes”. Or, comment changer les mentalités si l’administration ne prend pas en compte cette précarité, qui est pourtant factuelle, et dont on se doute bien qu’elle n’induit pas un accueil de qualité optimale.

Il en va de même des surveillants de baignade, garants de la sécurité des baigneurs sur nos côtes. Alors que les pompiers bénéficient d’un certain prestige, les surveillants de baignade sont bien mal considérés par les municipalités qui les emploient, avec de faibles perspectives d’évolution alors qu’il faut bien, à minima, quelques surveillants expérimentés pour former les jeunes recrues de l’été.

Quant à la filière enseignement du surf, elle est attaquée de toutes parts, sujette à réglementations tandis que s’exerce en toute impunité la concurrence déloyale des tours operator étrangers et des prestataires européens, alors qu’elle étouffe sous le poids du nombre, les lieux de pratique étant saturés par l’augmentation du nombre d’écoles et d’encadrants de surf. Bien que ces professionnels du surf soient les garants de la sécurité des plages (pendant et hors périodes de surveillance) et les témoins des atteintes environnementales, leurs remarques et préconisations ne sont pas suivies d’effet, elles ne sont tout simplement pas entendues.

Michel Queyraud, président du SPS, parle, à l’endroit du CRT, d’une “stratégie hors sol”, complètement déconnectée de la réalité du terrain et de ses acteurs. Selon lui, la stratégie du CRT se résume ainsi  : “oui à une croissance quantitative, qui s’appuie paradoxalement sur les concepts de qualité d’accueil, de respect de l’environnement et de durabilité, mais exit la question du développement local et de la régulation de la pratique commerciale du surf”.

D’ailleurs, la réunion, pour enrichir une réflexion concrète sur la thématique du développement durable,  souffrait également de l’absence du Conservatoire Régional du Littoral ou de quelque autre organisme de protection environnementale. Tourisme éco-responsable et tourisme de masse sont difficilement conciliables, mais le CRT brandit des chiffres d’affluence comme on agiterait un trophée.

A l’issue de la réunion, le CRT a émis un document intitulé : RECOMMANDATIONS, Actions de promotion pour la valorisation de nos destinations, filières et grands acteurs touristiques. Ce plan d’action prend en réalité la forme d’une suite de tableaux proposant la participation tarifée à des salons, actions marketing et ateliers sur la thématique du développement touristique et l’on se rend compte qu’il s’adresse en effet à de “grands acteurs touristiques”, que ce soient des collectivités ou bien des tours opérateurs. En effet, à 3.000 ou 19.000 € la participation, cela fait le tri.

L’occasion de rappeler que les initiatives les plus innovantes, originales et séduisantes ont tendance à être portées par des actions citoyennes issues du terrain, respectueuses de justice sociale et de la préservation des cadres de vie. Tel ce petit village anglais, sujet d’un article dans Libération et qui a déclaré la guerre au plastique.

Situés tout en bas de la chaîne de décision, les acteurs sur le terrain se sentent souvent infantilisés, on les étudie comme on étudierait de lointains papous et puis on les laisse mâchouiller, fébriles, leurs racines de manioc tandis qu’ils prennent de plein fouet les turbines de la mondialisation. Débrouillez-vous, on va commander une nouvelle étude.

Les initiatives écocitoyennes, les regroupements en autogestion, toutes ces formes d’organisation alternatives expriment un besoin de la base, comprendre ici les travailleurs et les entrepreneurs, de pouvoir agir dans l’espace démocratique autrement que par le vote. C’est tout le sens, je pense de l’action d’Eco-Safe Surfing et du SPS, de se regrouper pour être entendus par les institutionnels et que cela se concrétise par des actes. On pourra reparler alors, de développement durable.

Eric Lafargue, président de Eco-Safe Surfing