Formation Surf, part 1 : une réalité corrompue par les clichés autour du surf

En 2008, la DRJS Aquitaine analysait plusieurs questionnaires réalisés sur un panel de gérants d’écoles de surf mais aussi de leur clientèle d’élèves surf, en vue de questionner le nouveau BPJEPS sur son adéquation avec les besoins et réalités du terrain. Ce rapport, qui rejoint notre démarche présente, permet de comprendre l’évolution ou la non-évolution des mentalités qui sont à l’œuvre dès que l’on s’intéresse aux moniteurs de surf.

Éducateur surf, un métier précaire ?

Le rapport de 2008 décrit l’activité « école de surf » comme une activité précaire, en raison essentiellement de son caractère saisonnier.
Il convient alors de s’interroger sur la pertinence de cette association d’idée entre précarité et saisonnalité, posée comme vérité intangible. En effet, le climat et le calendrier scolaire font de l’été la période où se concentre l’activité touristique.
Mais cela ne concerne pas uniquement les écoles de surf, toute l’activité économique de la côte aquitaine vit au ralenti l’hiver et les restaurateurs, les hébergeurs, les prestataires de service jouent presque tous leur chiffre d’affaire sur 2 à 7 mois entre avril et octobre (selon le secteur d’activité, la localisation, les orientations municipales).
Or, comme l’a démontré l’enquête de Julien Barnu et Amine Hamouche, Industrie du tourisme, Le mythe du laquais, un particularisme culturel français veut que les activités touristiques et plus généralement de services, soient jugées comme dévalorisantes et un peu honteuses.

Citons ici un extrait du rapport de 2008 :  « Les moniteurs en CDD se complaisent, pour certains (souvent les plus jeunes n’ayant pas « d’attache familiale »), dans cette situation professionnelle. La plupart signent d’autres CDD en hors saison (montagne, autre sport, restauration, bâtiment…) ». Certains partent l’hiver en voyage, lit-on plus loin !!! Dans quelle société archaïque vivons nous qu’il faille se conformer au modèle classique du choix d’un métier monorail, de la sortie des études jusqu’à la retraite, à rester sur un seul et même poste ? Les métiers saisonniers ne seraient-ils pas légitimes ?

Ce sont les institutions et la façon de penser le travail qui rendent ces choix de vie précaires. Sans CDI en France, il est en effet difficile d’obtenir un crédit dans une banque, louer un appartement peut s’avérer également compliqué et ces problématiques à des degrés divers se retrouvent à tous les échelons de la vie quotidienne. Beaucoup d’emplois saisonniers sont mal payés, car ces métiers sont peu valorisés, en opposition totale avec le poids économique de leur activité : en effet, le tourisme représente 7,1 % du PIB en 2016 et la destination France conserve le premier rang mondial en 2016, avec 82,6 millions d’arrivées de touristes internationaux. Le taux de départ en voyage des Français est de 70 % en 2016. Ils ont réalisé 194,8 millions de voyages pour des motifs personnels, dont près de neuf sur dix en France métropolitaine.

Nous n’allons pas changer les mentalités ou réformer la société mais il est bon de rappeler que certaines représentations sont biaisées : en vertu de leur diplôme d’état, les moniteurs de surf français sont bien payés et les gérants d’école de surf vivent à l’année de leur activité , pourtant saisonnière ! Le rapport de 2008 pose ce constat : « Les gérants d’entreprise qui emploient plusieurs moniteurs en CDD l’été vivent à l’année de leurs revenus. L’objectif de réduire la saisonnalité du métier de moniteur de surf n’est pas primordial pour eux ». (A nuancer : nous verrons plus loin qu’allonger la saison fait partie des objectifs de la plupart des gérants d’école de surf en 2018).

S’il y a précarité, elle est liée à des facteurs externes qui n’ont rien à voir avec la saisonnalité : toute activité liée au tourisme, et plus particulièrement les activités de nature, est tributaire des variations climatiques ou environnementales (marée noire, tempête, orage).
Mais à l’image d’autres secteurs, les aléas de la dérégulation du marché, la concurrence internationale, les variations dans la réglementation et dans les politiques de formation, les conditions d’adjudication et l’apparition de nouvelles taxes sont autant de facteurs qui n’ont rien à voir avec la saisonnalité de l’activité et qui sont susceptibles de dégrader durablement les salaires, la capacité à l’embauche, la résistance à la concurrence et la stabilité de la profession, en l’occurrence ici le secteur des écoles de surf.

Le crise du textile des grandes marques de surf n’a pas touché les écoles de surf, preuve de leur santé mais aussi d’une réorientation des réflexes d’achat des consommateurs vers de l’activité sportive, ici un engouement pour le surf qui n’a fait que croitre. Peut-on alors parler de précarité lorsqu’un secteur professionnel réussit à survoler les marées noires et les crises économiques ? Il est vrai toutefois que la survie économique des écoles de surf se joue essentiellement sur deux mois de l’année (juillet-août) et que cette limite temporelle indépassable constitue un frein au développement économique de ces entreprises. Il faut donc les accompagner dans leur développement, leur donner les moyens de leur réussite.

Éducateur surf, une profession étiquetée

Il y a de plus en plus de surfeurs et donc de surfeurs aguerris, toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentées, il paraît de nos jours absurde d’enfermer le surfeur dans les vieux clichés remâchés : antisocial, non conformiste, individualiste, incapable de se fédérer, tournant le dos à tout ce qui est institutionnel.

Si cette tendance s’estompe quelque peu, force est de constater que les éducateurs de surf ont du mal à se faire entendre, à cause des représentations mentales qui restent attachées à l’image surf.

Le sondage réalisé en 2008 sur un panel de 396 clients contredit pourtant cette vision d’un sport en marge de la société : en effet, les pratiquants surf viennent prendre des cours de surf moins pour l’attrait de l’image surf (ensemble de codes et modes véhiculés dans la presse spécialisée et par les grandes marques de surfwear) 16%, que pour les sensations de glisse 72% et la découverte d’une nouvelle activité 22,50%. Ils sont par ailleurs satisfaits de la qualité de l’enseignement qui leur est donné.
Il en ressort que dans le cadre de l’école de surf, un rapport pédagogique classique d’élève à éducateur sportif s’instaure, basé sur l’attrait et la transmission d’une discipline sportive, en dehors de toute mystique surf.

Mais les représentations du surf sont si puissantes qu’une part de subjectivité vient déformer la grille de lecture comportementale qui est faite des moniteurs de surf : dans l’étude de 2008 sur l’emploi et la formation, les rédacteurs du rapport interprètent le peu d’entrain des acteurs de l’enseignement du surf à jouer le jeu de l’enquête, comparativement à des enquêtes menées dans d’autres secteurs sportifs, comme une manifestation de ces caractéristiques précitées.
Pour nuancer cette comparaison, sur des critères qui auraient trait à des schémas  de pensée distincts selon les sports, rappelons que le surf en tant que sport s’est structuré assez récemment (1953, création de la FFS à Biarritz ; 1919, création de la fédération française de rugby). Par ailleurs, le rapport pointe le comportement fédéral pour étayer cette thèse d’une « distance symbolique à l’institution » : « La position quelque peu dominée (s’entend par dominante, je pense), dans l’univers du surf, de la FFS atteste cette analyse. Le fait, également, que plusieurs membres de l’organisation de la fédération (membres du Comité directeur ou d’une Commission) soient plus ou moins directement destinataires du questionnaire et que ceux-ci n’aient pas assuré la passation renforce la critique ». Or, on peut légitimement penser que la dynamique fédérale et les rapports que la FFS entretient avec les institutions mais aussi avec les surfeurs, pratiquants ou éducateurs sportifs, influence le rapport que ces derniers peuvent développer à l’égard du cadre institutionnel sportif. Nous y reviendrons.

Au niveau institutionnel, sociologues et observateurs ont pointé le fait que les pouvoirs publics utilisaient la plupart du temps le surf comme un actif en terme d’image sans s’intéresser réellement aux pratiquants et aux acteurs de la dynamique liée au surf :

Extrait de la thèse Des vagues et des hommes, La glisse au cœur des résistances et contestations face à l’institutionnalisation des territoires du surf en Aquitaine, Ludovic Falaix, 2012.

Cette recherche ne prétend pas présenter de manière exhaustive les politiques publiques territorialisées ayant le surf comme support dans la mesure où elles relèvent de stratégies différenciées et s’articulent en fonction des représentations des élus locaux à l’encontre des populations de surfeurs.  » Les goûts personnels des maires à l’égard du surf et des surfeurs sont réfractés dans l’espace politique municipal  » (Guibert, 2006 :37).
Christophe Guibert précise même que « l’histoire du surf, aussi subjective et imposée soit elle dans les magazines et les discours marketing, ont des effets directs sur les représentations des élus des communes… Les stéréotypes issus de ces productions sont tous, plus ou moins, présents dans la définition des politiques municipales des communes du littoral aquitain  » (Guibert, 2006 :103). Ainsi, des élus se représenteraient les surfeurs comme « jeunes, indépendants et désorganisés », c’est-à-dire qu’ils tendraient vers une forme de « diabolisation » des surfeurs mais, ces mêmes élus souhaiteraient utiliser « le surf pour communiquer et définir une identification territoriales en faveur d’un développement touristique. Mais ce n’est pas n’importe quel « surf » qui est mobilisé puis valorisé » (Guibert, 2006 :143). Christophe Guibert constate alors que « les politiques municipales les plus dynamiques accompagnent non pas la pratique – « libre » ou associative – mais plutôt ce qui permet de rendre la commune médiatiquement visible en évitant tout lien avec les représentations qui sont associées aux surfeurs ordinaires » (Guibert, 2006 :144).

Changement des mentalités ?

Néanmoins, les récentes enquêtes réalisées, l’une par le GIP Littoral Aquitain, l’autre par la DRJS, tendent à montrer que le législateur interroge la profession et que les conditions d’une écoute et d’un dialogue peuvent être enfin réunies. Dans l’enquête de 2008, s’exprimait déjà le manque d’un organisme représentatif des écoles de surf (dans leur globalité) pour pouvoir faciliter les échanges avec la base. C’est dans cette optique que s’inscrit l’association Eco-Safe Surfing : créer un organisme représentatif de la profession, qui puisse faire office de passerelle entre les écoles de surf et les institutionnels, pour faire face ensemble aux enjeux de demain et préserver la santé de notre profession.